thankyouforcoming

Feuilletons d'atelier

Leïla Brett - Faire fauteuil par Camille Paulhan

26.11.22
Leïla Brett - Faire fauteuil par Camille Paulhan
26.11.22

I can't help it, studios move me; I wanted to propose for thankyouforcoming portraits of studios, words of artists collected in these places, in front of their works. It is more a question of what a studio does to artistic production, of how one works there, how one strolls there.

Lire le feuilleton d'atelier #17
Téléchargez ici le PDF

The author
Camille Paulhan

The artist
Leïla Brett

Savoir, au juste, si et comment la lumière spécifique de l’automne sur les carreaux, l’acoustique défaillante ou les odeurs du restaurant mexicain au pied de l’immeuble influent sur les œuvres que produisent les artistes.

Savoir, également, ce qu’on y écoute comme musique, quelles cartes postales ont été punaisées aux murs, si l’on marche sur des bâches, du papier bulle, des points de peinture ou des chutes de papier. Y voir, aussi, les para-œuvres, les infra-œuvres, les pas-tout-à-fait-œuvres, les plus-du-tout-œuvres, et être donc au cœur du moment du choix.
Je n’avais pas très envie qu’apparaissent mes questions, elles se sont donc effacées.

Il y a quelques années, nous nous étions retrouvées, Leïla Brett et moi, dans un jury de diplôme à l’école d’art de Metz. Elle m’avait par la suite proposé une visite de son atelier, dans le 18e arrondissement de Paris. Elle habitait alors un atelier-logement de la ville, et son lieu de travail, parfaitement ensoleillé par une imposante verrière, se situait dans le salon familial. J’avais été marquée par la façon dont elle s’était accommodée de ce que beaucoup pourraient considérer comme une contrainte : son travail était en partie déterminé par cette impossibilité de « laisser en plan ». Pourtant, à l’époque, ses œuvres étaient déjà hantées par des scories, par ce que justement on laisse derrière soi quand on dessine, et qui peut s’envoler au moindre courant d’air.

(suite du texte après les images)

En 2022, après avoir déménagé à Lyon, Leïla Brett m’a conviée à venir visiter l’atelier qu’elle occupait temporairement à la Factatory, un module tout en longueur, qui semblait posé au milieu d’un terrain où bataillaient des fleurs et des herbes plus ou moins domestiquées. Là, tout en partageant successivement au gré des mois l’espace avec trois artistes, elle pouvait enfin déployer de grands formats. Elle avait pris soin de disposer deux transats de plage dans l’atelier, et nous nous sommes étendues là pour discuter. Rien de superflu ici : il faut pouvoir prendre le temps du regard, d’une certaine mollesse du corps, pour apercevoir ce qui émerge à l’atelier. Au mur, des cartes postales (Mirtha Dermisache, Marthe Wéry, Agnes Martin…) viennent indiquer le cercle familial artistique. Un travail en cours, à partir de partitions de musique illustrant les textes d’une certaine poétesse du siècle dernier, Leïla Brett, se déplie sur les vitres. Quand j’arrive, Leïla Brett (l’autre) est en train de rouler sa Grande nuance, en chaussettes. En réécoutant mon enregistrement, je me fais la réflexion que j’avais complètement oublié le bruit de la scie circulaire de l’atelier bois, un peu plus loin dans la Factatory, pour conserver ceci : transat, chaussettes, percées lumineuses, du temps devant soi.

---

"Enfant puis adolescente, j’ai suivi des cours dans l’atelier d’Hélène Picardi, à Vitry-sur-Seine. Même lorsque je n’ai plus habité le Val-de-Marne, j’y retournais chaque semaine, et ce pendant dix ans.

Je me rappelle que nous travaillions sur de grandes tables en musique. J’aimais beaucoup cette ambiance collective ; ce ne sont pas des souvenirs très précis, mais plutôt des flashs des visages des enfants, de la salle de cours, des sujets qu’elle nous donnait.

Après le baccalauréat, je me suis inscrite conjointement en arts plastiques à Saint-Charles, et l’atelier de Sèvres. Au bout d’un an, j’ai été prise aux Beaux-arts de Marseille. Au début, je travaillais surtout chez moi, puis paradoxalement, quand on nous a laissé davantage d’autonomie, je suis revenue à l’école. Je passais beaucoup de temps au labo photo, à la bibliothèque. J’ai véritablement commencé à travailler ce qui m’anime encore aujourd’hui en quatrième année ; je suis entrée dans le dessin par le biais de l’édition. Comme je ne suis pas très sauvage par nature, je n’avais aucun problème avec les ateliers collectifs à l’école : j’aime le partage de connaissances, mais lorsque je suis dans mon travail, j’y suis. Et j’ai besoin de mon territoire : laisser des choses sur place, afficher des images aux murs.

Après le diplôme en 2004, j’ai quitté Marseille pour revenir à Paris, et je n’avais pas d’atelier. Mis à part quelques expériences de courte durée – aux ateliers de Lorette à Marseille pendant deux mois, par exemple – je n’avais pas d’endroit dédié, je travaillais dans ma chambre. En 2007, j’ai eu la chance d’avoir un atelier de la ville de Paris, qui donnait sur le quai de la Loire. C’était un espace important, j’avais 40 m2 uniquement pour moi. C’était un véritable lieu de vie, il y avait un bon tiers de l’atelier qui était destiné à accueillir les gens, avec un canapé, des fauteuils, un bureau. Il y avait de la place pour discuter, prendre le café, observer les œuvres accrochées. J’avais aussi un mur de références autour de mon lavabo, avec des cartes postales, des reproductions. Je recevais des artistes, des collectionneurs, des amis. Cela a toujours été ouvert. En revanche, quand j’y étais – comme j’avais aussi une activité de graphiste à côté – c’était vraiment pour travailler. L’atelier, c’est un espace à part, c’est difficile de se rendre compte à quel point c’est précieux. Lorsque tu en as un, c’est parfaitement normal, c’est quand tu ne l’as plus qu’il te manque terriblement.

Quand ma fille est née en 2012, je l’emmenais beaucoup à l’atelier, car la première année, je n’avais pas de mode de garde ; elle avait un parc là-bas, elle passait souvent la journée avec moi. J’avais déjà déposé une demande d’atelier-logement, que l’on a eu en 2015. Pour moi, c’était une forme de pragmatisme, car à Paris financer un atelier en plus d’un logement est très coûteux. L’atelier-logement dans lequel nous avons emménagé se situait rue Hégésippe Moreau, dans le 18e arrondissement. J’avais la chance de pouvoir échanger régulièrement avec Estèla Alliaud, qui est devenue une amie et qui habitait juste en-dessous. On déjeunait souvent dans la cour, en parlant d’expositions à voir, en s’échangeant des conseils pratiques ou en évoquant d’autres artistes. Mais pour une famille, l’atelier-logement n’était pas forcément idéal : mon atelier était dans le salon, ce qui signifiait qu’il était impossible d’organiser des visites le week-end, en fin d’après-midi, le soir… Même si cela ne me dérangeait pas que mon espace de travail soit dans le lieu de la vie domestique, je ne pouvais plus travailler à de grands formats ou laisser traîner le travail en cours.

D’une certaine manière, l’atelier est une forme de reconnaissance : en tant qu’artiste, avoir un atelier à soi légitime son statut. On se perçoit comme moins crédible lorsqu’on travaille chez soi.

Pourtant, avoir un atelier ne représente pas grand-chose, car ce qu’on a à faire, on le fait quand même, atelier ou pas. C’était tout de même la grande question lorsqu’on a quitté Paris à l’été 2019 pour nous installer à Lyon, où il est beaucoup plus difficile de trouver un atelier et où j’ai dû aménager mon atelier chez moi.

Depuis que je suis arrivée à Lyon, mon travail a été conditionné par ce manque d’atelier ; j’ai par exemple beaucoup filmé, et aussi réalisé un certain nombre de dessins n’excédant pas le A3. Donc quand on m’a proposé fin 2021 un atelier de 50 m2 à la Factatory pour cinq mois, je me suis dit : « Je ne vais pas faire un travail de table ! » Lorsqu’on a de l’espace, comme j’avais quai de la Loire, on peut laisser son travail prendre de l’ampleur, se déployer, et ajouter, ajouter… Ici, à la Factatory, je suis dans une véritable urgence, avec peu de temps : je ne vais pas tergiverser, si je viens à l’atelier c’est pour y travailler. Mon rythme a beaucoup changé depuis mon premier atelier. Je viens d’ailleurs tout juste d’accepter une place dans un atelier partagé à Villeurbanne, avec des artistes dont j’apprécie le travail : une nouvelle ère commence (ndlr : Leïla Brett a depuis l’été 2022 rejoint l’atelier VàV).

Pour moi, l’atelier n’est pas un lieu intime : j’aime y convier des personnes, montrer le travail en cours, ce pour quoi je peux avoir un doute, et j’écoute ce que l’on me dit. Parfois cela résonne, parfois cela résout. Ce n’est pas forcément immédiat, cela peut prendre plusieurs mois. Échanger, c’est peut-être ce que je préfère à l’atelier : c’est aussi un moment où l’on peut prendre le temps de retrouver d’anciennes œuvres. Camille Saint-Jacques utilise une expression que j’aime beaucoup : « faire fauteuil », c’est-à-dire s’attarder à regarder ce qu’on a fait. L’atelier est un lieu de contemplation lent, il donne du recul.

J’ai parfois de longues périodes, plusieurs mois, pendant lesquelles je ne produis pas. En réalité dans ces moments-là je réfléchis toujours, je visite des expositions, je rencontre des personnes, je visite des ateliers, je lis. Et des travaux naissent de tous ces échanges que je mets dans un coin de mon cerveau. C’est bien de ne pas être uniquement dans sa bulle, de savoir se nourrir ailleurs. Et puis de garder des projets en tête ; je viens de réaliser tout récemment un dessin auquel je pensais depuis 2014. Moi, je ne suis jamais pressée, et mieux vaut ne pas être pressée d’ailleurs."

Camille Paulhan et Leïla Brett pour thankyouforcoming, Eté – Automne 2022.